Sur une route familière du Lubéron, ce cabanon fait balise, pur tableau bleu derrière lequel meurt un ancien usage d’abri. La radiance du bleu a perdu de son vif, et tout automobiliste pratiquant ce repère voit s’amenuiser le contraste entre les lettres blanches et leur fond de cobalt… Drôle de teinte : elle a, comme partenaire de campagne, cette bouillie de sulfate de cuivre dont les paysans pulvérisent les arbres, badigeonnent les planches à risque… Quand donc ce bleu hygiénique est-il allé frayer avec les tremplins de la propagande ? Lors de la première prise de vue, le trafic souriait à la figuration historique d’un modèle disparu de Mercedes, mais lisait déjà l’invite pâle du chocolat comme bien plus obsolète… Le cabanon maintenant est porté disparu, englouti par l’appétit rectiligne d’une voie rapide ; son ton de bleu, qui en un temps essaimait dans le paysage, devient une rareté…
Qui est-il au fait ? Est-ce lui, le
bleu charron, peint jadis sur les roues des charrettes comme répulsif pour les insectes ? Ou n’est-il pas le
bleu pour vitrages, appliqué pour épargner aux ateliers vitrés une trop forte agression solaire au zénith provençal ? Ou bien est-ce celui que je nomme
bleu de la guerre, qui recouvrait les verrières d’usine et rendait leur illumination tardive invisible des bombardiers ? Ce reste militaire, sur les toits des fabriques de la campagne des années 60, pochait quelques vitres de son film bleuâtre...
Ne serait-ce pas lui qui, surabondant par programme de camouflage, a ensuite été déstocké à usage agricole jusqu’à aspersion du paysage ? Je nommerai toujours
bleu de la guerre cet apprêt lugubre : sa survivance écaillée a incarné, dans mon adolescence en Lubéron, la couleur même de la restriction...
Ici ou là ce bleu survit encore, d’ailleurs ; quant au support longtemps disparu que fut le cabanon du chocolat Menier... Je l’ai retrouvé sous la neige au détour d’un virage, il y a peu, confirmant l’histoire que j’avais entendu compter : un couple d’Anglais avait pu sauver cette balise de paysage, peu avant l’élargissement routier, en la faisant déplacer en limite visible de leur propriété, à dix kilomètres de là. Ainsi cette trinité du chocolat, du bleu et du cabanon, aimantant à nouveau la vue du voyageur, incarne-t-elle, du sommet d’une butte, une forme inédite de résurrection du paysage.